Carnet de voyage

 

Première partie: Cannes, Mulhouse -> Hanoï en train, du 6 janvier au 6 février 2010

Deuxième partie: Nord Vietnam, de Hanoï à Dien Bien Phu, du 16 février au 4 mars 2010

Troisième partie : Nord Laos, de Dien Bien Phu au pont de l'Amitié (est de Vientiane), du 5 mars au 3 avril 2010

Quatrième partie : Thaïlande, du pont de l'Amitié à Savannakhet , du 3 au 15 avril 2010

Cinquième partie : Laos, de Savannakhet à la frontière Cambodgienne , du 16 avril  au 15 mai 2010

Sixième partie : Cambodge, de la frontière Laotienne à la frontière thaïlandaise, du 15 mai au 14 juillet

Septième partie : Thaïlande, de la frontière cambodgienne à la frontière laotienne, du 14 juillet au 11 septembre 2010

Huitième partie : Laos, de la frontière thaïlandaise à la frontière vietnamienne, du 11 septembre au 10 octobre 2010

Neuvième partie : Vietnam, de Dien Bien Phu à la frontière chinoise, du 10 octobre au 06 novembre 2010

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Dixième partie : Retour en train, de Hanoï à Mulhouse et Cannes, du 8 novembre au 19 décembre 2010

Traversée de la Russie, l'Ukraine, la Pologne et arrivée en France :

Et je reprends l'antenne, merci mon gros Léon.

Nous voici donc dans le train Astana-Moscou. La veille nous étions encore en train de courir tous azimuths pour essayer de trouver une solution à ce sac de noeuds dans lequel nous nous étions fourrés, et là nous pouvions nous estimer comme étant enfin tirés d'affaire : pouvoir sortir du Kazakhstan et quitter ensuite la Russie avant l'expiration de notre visa. Mais malgré tout, nous ne voulons pas crier victoire avant d'être sorti de Russie en temps et en heure, Patate échaudée craint l'eau froide !  
Ces deux jours de voyage en Platskartny nous permettent à nouveau de vivre de croustillants moments avec les autres passagers. Nous retenons notamment :
   - Alexi, un russe de l'âge de nos parents carburant à la bière, qui tenait tant à nous faire part de sa connaissance du cinéma français. Il finira, très tard le soir, par réussir à faire deviner à Jacques "Jean-Paul Belmondo" en lui mimant un boxeur, puis "Jean-Claude Vandamme" en tentant un grand écart facial dans le fumoir entre les deux wagons.
   - Ou encore ce grand gaillard torse-nu qui traverse tout le wagon en titubant. Il s'arrête à ma hauteur, regarde ses pieds et s'éclate de rire. Il a deux chaussures gauches. Du coup, il les abandonne sur place et s'avachit sur un lit un peu plus loin pour un repos réparateur.
   - Et cette babouchka, vendeuse de boissons sur le quai de la gare, avec qui nous blaguions avec grand plaisir. La voyant transie de froid, je retire ma doudoune pour lui mettre sur les épaules et fait semblant de remonter dans le train, en t-shirt, sous son regard incrédule, sa copine écroulée de rire à côté.
C'est pour ces rencontres hétéroclites, tantôt authentiques et tantôt cocasses que nous apprécions particulièrement ce voyage par voie terrestre. Il nous laisse le temps pour que ces rencontres se fassent. Même s'il demande beaucoup d'énergie à organiser, ce type de voyage est incroyablement enrichissant.

Aujourd'hui, la surprise du calendrier de l'avent est un avion en papier, annonçant aux petites Patates ce qui les attend à Moscou.

Arrivés à la gare de Moscou, nous nous mettons en quête du meilleur moyen pour rejoindre ... l'aéroport. Ces termes sont difficiles à écrire ou à prononcer tant ils ne correspondent pas à cette expérience de voyage purement terrestre. Mais le destin en a décidé autrement, on s'y résigne.
Le problème de ce genre d'endroit est qu'il est situé à l'extérieur de la ville contrairement à la gare qui, elle, est en plein centre. Cela veut donc dire métro puis train express, ou taxi. Nous souvenant de nos déboires dans le métro de Moscou lors de notre passage à l'aller, cette première solution ne nous attire que moyennement.
Au gré de nos recherches, nous tombons sur un grand gaillard, un tadjik, qui nous propose de nous emmener dans sa voiture pour quasiment la même somme que la solution métro plus train. La voiture qu'il nous montre est un monospace donc nous pourrons y mettre toutes nos affaires dans le coffre et avec les enfants sur les genoux, ça fera l'affaire. Marché conlu !
Notre homme se met alors à passer une série de coups de fil et nous ne comprenons pas pourquoi l'on ne monte pas tout de suite dans sa voiture. Rapidement nous comprenons qu'il s'agit d'un rabatteur, oeuvrant pour tous les membres de la diaspora tadjik possédant un véhicule en mesure de rouler. En attendant notre taxi nous engageons la conversation avec le rabatteur. En lui annonçant que nous sommes français son visage s'illumine et il crie le nom de son idole, le meilleur ambassadeur français, connu de tous les hommes aimant le ballon rond (soit environ 99%) : Zidane ! Et dans son élan, il lève la main pour toper dans la mienne. Regardant cette dernière afin de bien la viser mon sang se glace ... c'est un moignon qui n'a qu'un pouce ! Dans ces moments là, il faut réagir très vite. L'instinct a envie de retirer ma main, effrayé à l'idée de serrer celle du tadjik. La curiosité a envie de s'exclamer "la vache, c'est quoi ce truc, mais qu'est-ce qui t'es arrivé ??!!". Et au final la raison prend le dessus et fait appel à la concentration pour bien viser et ne pas louper cet unique doigt.
Cette attente nous permet de constater que la gare dans laquelle nous sommes est une véritable cour des miracles. Le sommum est atteint lorsque nous observons un mal voyant poursuivant une vieille clocharde en brandissant sa canne blanche ...  

Au bout d'un moment de ce spectacle singulier, le chauffeur arrive enfin. Une fois devant sa voiture, nous sommes perplexes : cela ne correspond pas du tout au monospace de tout à l'heure ... Une voiture classique, faite normalement pour accueillir 4 passagers et leurs 3 sacs environs. Oui, mais nous sommes 8, avec 6 sacs et 1 carriole. Allez, ça devrait rentrer. Après avoir vidé le coffre de tout un tas de bidons plus ou moins vides (tiens donc, étrange ...), sanglé le haillon pour que la carriole ne s'envole pas sur l'autoroute, chargé la moitié des sacs dans l'habitacle et, accesssoirement, nous être entassés à l'intérieur, nous démarrons.
Serrés comme des sardines, nous prenons le chemin de l'aéroport. Nous avions de la marge pour y arriver mais les bouchons pour sortir de Moscou entament sacrément celle-ci. Quand, enfin arrivés sur l'autoroute où la circulation est meilleure, nous commençons à souffler. "Allez, ça serait quand même le comble qu'on le rate cet avion". Mais au même instant la voiture perd de la vitesse, le chauffeur se met sur le bas-côté et commence à s'exciter sur son levier de vitesse. "Ah non, ça n'est pas le moment de tomber en panne !!!". Nous redémarrons. Un panneau indique l'aéroport à 22 km. La voiture cale maintenant, visiblement elle chauffe. Ca devait être pour ça tous les bidons dans le coffre que nous avons dû laisser sur le parking pour y mettre nos affaires. Nous serrons les fesses pour que ce tas de feraille daigne nous emmener à l'aéroport en temps et en heure. Finalement, nous y arrivons et notre avion a même du retard. Passage de la douane à 23h45, soit 15 minutes avant l'expiration de nos visas russes : ouf !!

Pour les enfants, l'avion est comme un manège et ils ouvrent grands leurs yeux pour profiter de ce spectacle. C'est à croire qu'ils ne retiendront que ça du voyage !

La carriole bien emballée :

Kiev, enfin ! Nos tracasseries avec les autorités kazakhes et russes sont maintenant derrière nous.
La guest-house dans laquelle nous séjournons durant cette escale ukrainienne est impeccablement tenue. En fait, trop bien tenue pour nous. Nous sommes tombés sur un maniaque du rangement et de la propreté qui passe derrière les enfants pour remettre en place le moindre objet qu'ils déplacent, au centimètre près. Le spectacle est vraiment cocasse.
Nous visitons cette jolie ville, et notamment la vieille ville avec ses superbes églises.  
 

De jour :
 

Et de nuit :                                                                                                                   

Après ces quelques jours en Ukraine, nous mettons le cap sur Varsovie. Nous y passons deux jours qui nous permettent d'avoir un aperçu de cette ville qui fut détruite en quasi totalité par les nazis et dont la vieille ville, après sa reconstruction à l'identique, fût classé au patrimoine de l'UNESCO.

La vieille ville et ses maisons colorées :
 
Le Palais Royal, qui fût également détruit puis entièrement reconstruit :

Le palais de la culture et des sciences, un "cadeau" fait par Staline aux polonais qui fût très controversé.
Un dicton polonais disait que "Le seul habitant heureux de Varsovie est le gardien du palais de la Culture... car quand il se met à sa fenêtre, il est le seul à ne pas voir le Palais de la Culture... ".
Cet édifice est tout de même le 4ème bâtiment le plus haut de l'Union Européenne.



                                                                                       Une église en banlieue sud de Varsovie :
                                                                                         

 

Notre retour approche. Nous sommes le 15 décembre et nous nous apprêtons à prendre notre dernière série de train qui nous ramènera en France. Arrivée prévue le 16 décembre en Alsace, sol natal de Jacques où ses parents attendent enfants et petits-enfants avec beaucoup d'impatience pour les fêtes de Noël.
Nous avons en poche un billet Varsovie-Bâle direct, départ 18h10, arrivée le lendemain à 10h30. Parfait pour coucher les enfants tôt et leur laisser faire la grasse matinée afin que toutes les Patates arrivent toute pimpantes.
Mais scénario trop parfait n'est pas patatesque et, à 3h30 du matin, la provodnista toque à notre compartiment pour nous annoncer que, du fait des importantes chutes de neige, notre train n'ira pas à destination et qu'il faudra en descendre à 4h30 pour ensuite prendre deux autres trains ... La nouvelle est difficile à avaler pour nous qui êtions ravi de ce trajet si confortable. Allez, un dernier coup de collier pour tout rempaqueter et réveiller les enfants.
Nous courerons ensuite après chaque train pour finir par arriver à Mulhouse le 16 décembre plus tôt que prévu par notre commité d'accueil qui fût surpris de nous voir arriver dans la gare où ils nous attendaient au chaud.

Retrouvailles émouvantes entre le père et son fiston :
   

Jeanne et Joseph impressionnés par ces retrouvailles, alors qu'ils criaient "Papy, mamie" quelques minutes plus tôt sur le quai de la gare.
                                                                           

Et la voilà, la fameuse choucroute de maman Steiner. Cette choucroute pour laquelle nous avons fait intervenir le ministère des affaires étrangères afin de nous permettre de sortir à temps du Kazakhstan pour pouvoir être à l'heure à ce rendez-vous pris de longue date !
  


Et en ce 18 décembre, pour la séparation des équipes, un magnifique manteau neigeux de 20 cm couvre l'Alsace.

 

Le dimanche 19 décembre, c'est au tour des Patates Clabaut de retrouver leurs proches. Accueil en nombre sur le quai de la gare de Cannes et les 15 derniers kilomètres pour rejoindre Théoule effectués à vélo.

"Regardez, ils sont tous là !"

Retrouvailles émouvantes entre le père et son fiston :

     Papy Didier, le papa de Caroline, heureux de retrouver sa petite fille après une si longue absence :
                                                                                          

 "Prêts pour le finish les enfants ?"

 

Ainsi se termine cette belle aventure ...
Mais est-elle vraiment terminée ? Notre voyage a bel et bien pris fin, certes, mais nous avons tous l'impression que quelque chose a germé en nous et que cette chose continue à pousser. Le sentiment d'avoir eu le culot d'ouvrir une porte derrière laquelle se trouvait l'Inconnu dans lequel nous nous sommes aventurés. Cet Inconnu qui impressionne et qui pourtant enrichit tant.
Le voyage n'est que l'une de ces portes et il en existe beaucoup d'autres dont l'au-delà est tout aussi riche pour celui qui osera l'ouvrir.
Le but initial de ce récit était de rassurer nos proches en les tenant informé de notre avancée, mais aujourd'hui nous espérons qu'il puisse aussi aider chacun à franchir le pas pour partir explorer de nouveaux horizons, quelles que soient leurs formes.
L'indiscrétion est un vilain défaut, mais certainement pas la curiosité ! Cette qualité est ce qui fait avancer l'homme et le différencie de l'animal. Alors assouvissons tous cette soif de découverte, et ne nous laissons pas aller à gober trop facilement une vie prémachée.

Les Patates Douces vous remercient d'avoir suivi leurs frasques et de les avoir encouragées.

En attendant la prochaine mise à jour du site (et oui, restez à l'affût) nous vous souhaitons de joyeuses fêtes de fin d'année. 

Jean-Guillaume

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Kazakhstan, de Ürümqi à la frontière russe, du 24 novembre au 8 décembre 2010 :

Encore engourdis par cette nuit fraîche digne d'un bivouac en montagne, on file se réchauffer dans un bui-bui à proximité de la gare, d'où l'on finira par se faire virer.... Il fait encore nuit, l'air est glacial, brumeux et pollué. Difficile à dire sans thermomètre mais c'est sûr on est bien quelques degrés sous zéro. En arrivant à Ürümqi, nous savions que nous préfèrerions le bus au train pour le trajet suivant. En effet, le passage de frontière en train est plus long d'au moins six heures pour deux raisons : il y a plus de passagers à contrôler dans un train et il y a les essieux à changer car, rappellez-vous l'aller, les rails chinois n'ont pas le même écartement que dans les autres pays.

Le temps d'engloutir un petit déj' de raviolis et nous montons dans un bus de ville direction la gare des bus longue distance. Du moins on essaie.... car les chauffeurs sont plutôt à cheval sur leurs horaires et l'inertie d'une troupe de patates ronchonnes ne leur plaît guère. Ce serait injuste de généraliser si vite mais l'impression est nette : on se sent bien loin de la gentillesse thaïlandaise.... Les patates douces seraient-elles déjà nostalgiques des pays où il faisait bon vivre sur sa selle de vélo, occupés à répondre aux sourires du matin au soir ????

On arrive à la gare de bus bon an mal an. Le prochain bus de nuit est déjà complet mais la compagnie décide d'en affréter un autre, du coup on choisit des couchettes du bas, la chute sera moins rude pour les agités du sommeil... Parfait, délesté de nos gros sacs (laissés en consigne à la gare), nous avons la journée pour visiter la ville. Notre intérêt se tourne vers le musée Xinjiang, qui retrace l'histoire de la région, de la route de la soie et des cimetières desquels ont été exhumées plusieurs momies. Petits et grands s'en mettent plein les mirettes : les enfants avec les chameaux empaillés et les statues animalières, les femmes avec les costumes colorés, les hommes avec les yourtes, découvertes en parties, laissant ainsi apprécier l'ossature. C'est cliché mais à peine exagéré.


La vedette des patatounes (futures taxidermistes ?...)

Les uns préféreront y passer la journée entière, tandis que les autres opteront pour une après-midi à flâner dans les rues animées. C'est d'ailleurs épatant cette vie sur les trottoirs très larges où l'on croise des marchands en tous genres : des primeurs, des coordonniers, de la friture et ce, malgré la rigueur du climat.


Une boulangerie ouzbèke, un concept différent...

En les observant de près, on peut d'ailleurs remarquer que leurs mains et leur visage sont marqués par le froid. C'est sûr, ces gens là ne sont pas des petites natures. Nous nous sentons bien plus fragiles, avec nos rhumes et notre toux que nous avons retrouvés presque en même temps que les températures hivernales. A notre décharge, nous étions encore en short et T-shirt moins de trois semaines auparavant, et ce depuis dix mois.

On se retrouve à la gare vers 18h pour embarquer à 19h. Ce coup-ci, on s'assure de ne pas oublier un sac au pied du bus... Le bus est à moitié vide et il n'y a que deux rangées de couchettes (contre trois dans le précédent bus de nuit). ROYAL !!! La nuit promet d'être bonne. Les petites patates investissent les cinq couchettes alignées dans le fond du bus tandis que nous squattons le couloir pour le dîner aux chandelles...je veux dire aux lampes frontales. On  laisse les enfants se défouler presque jusqu'à épuisement pour faciliter le couchage. Il faut dire que nous n'avons guère l'envie de batailler ce soir car la fatigue s'accumule aussi côté grandes patates.


"Commenca a sentira la fatiga....."

La nuit fût magique. Confortablement installés sur nos lits, sous la couette, nous jettons de temps à autre un oeil à la fenêtre. Eclairé par la pleine lune, le spectacle est féérique : paysage désertique, montagneux, hostile et glacial. Je ne rêve pas encore et pourtant, j'ai beau me frotter les yeux, je vois passer un troupeau de brebis conduit par des bergers à cheval, escortés par quelques chameaux... instant magique volé au hasard du voyage, dans un état subconscient... collectif. En effet, le lendemain Caro lance : vous ne savez pas ce que j'ai vu cette nuit ? Pour finalement se rendre compte que chacun avait eu la même vision, à des moments différents de la nuit... Plaisir partagé, plaisir décuplé... 

Au petit matin, à 9h (...), la colonie de vacances émerge doucement. Les petites patates font l'animation dans le bus. Les autres voyageurs semblent également avoir bien fait connaissance entre eux dans la soirée et l'ambiance est conviviale. Mais on sent que le passage frontière approche. On nous demande de cracher au bassinet pour participer au graissage de patte des douaniers car visiblement, nos compagnons de route transportent pas mal de marchandises neuves, achetées en Chine, où elles sont bien moins chers qu'au Kazakhstan. Ils devraient, en tout état de cause, être taxés à l'importation mais bien sûr, tout est "négociable".... 

Notre sortie de la Chine tire un peu en longueur mais sans histoire. L'entrée au Kazakhstan est plus comique. Nous sortons du bus en y laissant nos bagages en soute.

En observant l'animation à la douane, on a un petit doute : tous les voyageurs semblent obligés de passer leurs bagages aux rayons X mais il s'agit surtout de marchandises neuves.  Ce n'est pas notre cas mais dans le doute, Jean-Gui et moi ressortons pour décharger nos affaires restées en soute. Mais les douaniers nous en interdisent désormais l'accès, bien que nous leur expliquions nos intentions. Soit, nos affaires ne doivent pas les intéresser. Le contrôle d'identité effectué, on attend les autres passagers. Nous voilà au Kazakhstan avec nos jolis visas effectués à Bangkok, tamponnés ! Soudain, une dame, voyageant avec nous dans le bus, nous demandent où sont nos bagages... Ben, quelle drôle de question, dans les soutes pardi ! Elle nous lance à la figure : "You : CRAZY !!!!!"

On se regarde dans le blanc des yeux, sentant notre sang monter à la tête.... " Ca pose un problème ?". Oulahhh, c'est limpide, on aurait dû les sortir !! Peu de douaniers parlent anglais mais heureusement, cette même dame nous prend par la main pour franchir en sens inverse les différents sas jusqu'au bus. Et là, nous constatons que tous nos bagages plus la carriole ont été sortis et déposés dans un coin et que notre bus a déjà passé l'inspection et se trouve de l'autre côté de la barrière. Notre ange-gardienne nous refait passer en express les sas et les rayons X avec nos bagages. Ouf, sauvés. Sans cette dame, on aurait peut-être fini le voyage en mode ultraléger, les mains dans les poches : plus de carriole, plus de fringues, plus de souvenirs, plus de journal de bord, plus d'affaires de toilettes. On aurait découvert le pot aux roses à l'arrivée à destination, 8 heures plus tard, en ouvrant les soutes. On aurait eu l'air malin tiens....

Dès la frontière franchie, l'ambiance dans le bus est encore montée d'un cran. La vodka est de sortie et malgré les imperfections des routes kazakhes, les verres se lèvent et s'entrechoquent. On assiste même à des "acoquinements" plutôt intîmes. Ah c'est sûr, les kazakes peuvent se montrer beaucoup plus joviales que les Chinois.

Arrivée à Almaty, on galère un peu avec le taxi. En fait, il n'y a pas vraiment de professionnel : tous les propriétaires de véhicules s'improvisent taxi. Du coup, quand on lui donne l'adresse de l'hôtel repéré dans le Lonely planet, il nous assure qu'il connaît pour ne pas perdre la course. Je tente de négocier le tarif car il me semble exagéré. Je sors mes arguments soigneusement choisis comme Jean-Gui m'a appris, mais rien n'y fait. Je bute. Bon, ben on ne va pas y passer la nuit. Et sur ce, Jean-Gui se pointe la gueule enfarinée. Il me demande où on en est de la négociation. Je lui explique. Sans le moindre argument, il demande à notre homme si c'est OK pour le prix que je lui proposais. Et là, le mec accepte sans rechigner. Dégoûté... mais comment fait-il ? On en rigolera autour d'une bière 2 heures plus tard.

Donc, je disais galère, car nous cherchons en vain un hôtel qui n'existe plus. On atterrit dans un autre, pas très bon marché, même en dortoir, et dans lequel l'accès à la douche commune est plutôt restreint. Dommage, on avait rêvé mieux après 3 jours dans les transports.

Le lendemain, nous sommes le vendredi 26 novembre et la tâche du matin est le dépôt de notre demande de visa auprès du consulat russe. Pour cela, il faut que l'on récupère au préalable auprès d'une guest-house (Valentina guest-house) qui nous a servi de boîte aux lettres, les billets de train Astana-Kiev, qui vont nous faire traverser la Russie. Par chance, on nous propose de nous les porter en main propre pour un prix raisonnable, on aurait tort de refuser. Le livreur, qui connaît les rouages de ce genre de formalités nous met en garde : nous devons avant tout nous enregistrer auprès des autorités kazakhes et leurs bureaux ferment à 11h. Branle-bas de combat, trois d'entre nous foncent en suivant les explications du livreur. On se paume. On croise deux témoins de Jéhovah (un russe et un américain) qui nous remettent dans le droit chemin (...). Dans la précipitation, on se sauve même avec la photocopie de leur propre document officiel qu'il faut apparemment constamment avoir sur soi. Mea culpa pour cette étourderie. On se repaume et là on croise un ange-gardien : Rarmet, amoureux de la France et de Joe Dassin !!! Celui-ci nous conduit jusqu'au bureau de l'enregistrement, non sans avoir siffler avec lui sur la colline... Il se propose même de nous aider pour trouver un appartement à louer pour la semaine à venir et nous laisse donc ses coordonnées téléphoniques. Audit bureau, c'est la foire d'empoigne et il est 11h05. Je m'adresse à une dame au hasard et commence à lui mîmer ce pourquoi je suis venu pour qu'elle puisse m'aider à trouver le bon guichet. Elle me demande dans un anglais parfait :"How can I help you?". Incroyable, je suis tombé sur une prof d'anglais, serviable comme tout, qui nous sauve à son tour la mise. Grâce à elle, nous récupèrerons nos billets d'enregistrement le soir même à 17 heures. Pour la remercier, on se sauve avec son stylo... A ce stade, on pourrait penser que notre étourderie vire à la cleptomanie...

A midi, on se retrouve tous dans un parc pour un pique-nique kebab tant il fait bon. Au programme de l'après-midi, plusieurs impératifs dont celui de trouver un logement plus approprié pour les jours à venir puisque notre contrainte de visa va sans doute nous clouer à Almaty pour plusieurs jours. C'est un boulot à plein temps que de voyager....

Après moultes hésitations, nous élirons domicile pour les trois prochains jours dans un appartement à louer type HLM où Rarmet et sa femme nous conduisent en soirée. Il est relativement éloigné du centre ville ce qui nous avait fait tiquer, mais au plus près de la population. Nous apprécions particulièrement de pouvoir nous cuisiner ne serait-ce que des pâtes au beurre. C'est con mais petits et grands apprécions cette pause car nous avons enchaîné les transbahutages ces derniers jours.


Notre quartier HLM avec les montagnes fantômatiques dominant Almaty

Un jeune Kazakh, nommé Kuna, que Chantal a rencontré dans une librairie, nous emmène à la montagne pour goûter un peu aux joies retrouvées de la neige.

 Des patatounes complètement givrées.

C'est plutôt surprenant cette cote que nous avons ici, français, et la facilité de croiser quelqu'un prêt à nous aider pour quoi que ce soit, ou nous faire visiter. On se demande même si nous le méritons... On pourrait penser que ces gens ont l'air un peu fermé mais à maintes reprises, nous avons constaté que derrière les apparences, ce sont souvent des personnes serviables et très humaines.

Ca y est, nous sommes lundi, il est temps pour nous de déposer nos demandes de visa auprès du consulat russe. On s'attendait à tomber sur un genre d'automate russe, le visage fermé, nous annonçant qu'il manque tel document à notre dossier. Au lieu de ça, nous avons affaire à une charmante diplomate russe, pleine d'humour, causant quelques mots de français et amoureuse de la Corse depuis y avoir passé des vacances. Pour une dernière demande de visa, cela avait quelque chose de surnaturel. Nous faisons une demande de visa de transit pour les 4 jours de trajet entre Astana et Kiev, trajet pour lequel nous avons déjà notre billet de train, du 7 au 10 décembre. Ce trajet entre le Kazakhstan et l'Ukraine nous fera traverser la Russie sans même descendre du train mais le visa est néanmoins indispensable.

Nous voilà donc astreints à rester sur Almaty jusqu'au vendredi. Après moultes hésitations, nous décidons de nous mettre au vert, à 25 km, dans une chambre d'hôte située au pied des montagnes du parc national de Ile-Alatau. A peine arrivée sur place, on se félicite d'avoir fait ce choix. Nos hôtes ont trois filles de sept, cinq et un an et demi. Ainsi, nos patatounes ont trouvé là deux grandes soeur, prêtes à jouer les mamans et partager très naturellement tous leurs jouets. La mère et le frère du mari, l'ouvrier carreleur ainsi que l'employée de maison viennent compléter le tableau. Tout ce petit monde a l'air d'être très lié, à l'aise et curieux à notre encontre. Il semble qui si l'on était de la famille, ils ne se seraient pas conduits autrement avec nous. La maison est spacieuse, surchauffée, et son architecture surprenante. Le jardin est un paradis pour les enfants : portique, toboggan, cabane, bac à sable,...

Le soir, après un repas gargantuesque, on s'offre même le luxe de se faire un sauna tous les quatre à l'intérieur même de la maison, tandis que les enfants pataugent ensemble dans une baignoire aux dimensions américaines.

Le lendemain, la moitié des troupes s'élance à l'assaut des montagnes kazakhes qui nous tendent les bras avec comme objectif un monastère orthodoxe haut perché. On n'en verra jamais la couleur mais on retrouve de belles sensations montagnesques, un panorama ouvert à 360° sur la chaîne enneigée qui nous sépare du Kirghizistan et la plaine désertique. On y croise des chevaux en liberté et un village de montagne coloré, à défaut d'être animé.

    


Derrière les cimes enneigées, le Kirghizistan

    
Des maisons assez hétéroclites composent ce village haut en couleurs.

Nos hôtes prennent un malin plaisir à nous gaver de spécialités culinaires de leur pays, et même de nous faire mettre la main à la pâte. Ainsi, nous avons pu nous exercer à la fabrication de Manty, sortes de raviolis au potiron et à la viande...

    
Les nouilles,                                          les beignets au chou,


et les fameux manty au potiron

Du coup, une envie aussi naturelle que spontanée à germer. On s'est alors offert le plaisir de ressortir nos costumes de clown. Difficile de dire qui s'est amusé le plus du public ou des clowns. On a même improvisé une entrée à la Bebel en dévalant l'escalier sur le ventre.

   
M. Patate en plein déplacement de vertèbre.......                      devant un public hilare.                                    

Durant notre séjour, nous aurons la visite d'une délégation du centre d'écotourisme d'Almaty, accompagnée d'une équipe de la télé, avec pour objectif de faire la promotion de l'écoutourisme au Kazakhstan d'une manière générale, et de notre guest-house en particulier. Hallucinant. Nous voilà filmé dans toutes les pièces et interviewé : "pourquoi préférez-vous les chambres d'hôtes aux hôtels ?" "comment arrivez-vous à rigoler avec vos hôtes alors que vous ne parlez pas leur langue ?". Ahhhh, la communication. Bien sûr qu'on ne se comprend pas tout le temps, mais quelle satisfaction de pouvoir échanger à coup de mîme, de grimace et de croquis sur un coin de papier ou une paume de main. Et puis, il y a plus de gestes internationaux que ce que l'on pense. Voyez comme les filles se débrouillent.


Nursulu et Cylia en pleine causette. 

Au moment de se dire aurevoir, on peut lire dans nos regards la même phrase : "on aurait bien passé quelques jours de plus en votre compagnie..." Mais les billets pour la suite sont déjà dans nos mains, cette nuit nous prenons le train jusque... Sarichagan. On pourrait tracer jusqu'à Astana d'une traite mais voilà, sur la route se trouve un lac gigantesque, une bourgade de campagne d'où l'on ne sait même pas si l'on pourra reprendre un train et des habitants tout ce qu'il y a de plus authentiques. Vous pensez que ça peut se râter ?  A l'heure où j'écris ces lignes, nous n'en savons fichtrement rien mais ce qui est sûr, c'est que demain matin on y sera. La mine circonspecte de la personne qui nous a vendu les billets de train laisse présager une drôle d'expérience. Cette même personne, après nous avoir demandé ce que nous allions bien pouvoir faire dans cette ville, nous a assuré que, faute de place dans le train, l'on pourrait en repartir par bus...

Bon, est-ce bien nécessaire de vous conter une journée de soit disant de visite d'Almaty ? Je vais me gêner tiens....
Depuis notre guest house, on se fait déposer à la gare sauf moi qui suis chargé de récupérer les passeports munis de leur magnifique visa russe de transit. Secrètement, j'espérais revoir la charmante diplomate. Au lieu de ça je me retrouve avec le stéréotype du russe, à l'esprit bien carré, à la logique bête et méchante. Je m'explique. Je lui remets les deux reçus de nos deux familles. Il me tend la moitié de nos passeports. Je réclame l'autre moitié. Il me montre le reçu de Jean-Guillaume et me demande où il est... Aïe... J'argumente comme je peux et sur ce, il me dit avec un regard que je ne suis pas prêt d'oublier : "Imaginez qu'une tierce personne se présente avec votre reçu, et que je lui confie vos passeports. Vous arrivez, ne serait que deux minutes après, et vous me réclamez vos passeports. QUE FAIT-ON ???" Ok, on ne joue pas dans la même cour. Je repars la tête basse, Jean-Gui aura droit à un aller-retour au consulat dont il se serait bien passé. Je rejoins les autres pour midi au "Green Bazar" avec l'aide précieux de Eibic, étudiant en médecine rencontré à l'arrêt de bus, et avec qui nous partageons le repas. Ce lieu est un marché couvert, où viande (notamment un bel étalage de viande de cheval, très réputée au Kazakhstan), plats cuisinés, produits laitiers, fruits et légumes remplissent les étales. Vu de l'étage supérieur, cela ressemble à une vraie palette de peintre.

    


Les sushis, aux dimensions kazakhes.

Après des plats typiques Kazakhs (ex: borsche), nous nous régalons de fruits secs venus d'Ouzbékistan, du Kirghizistan et d'Iran. Cela nous fait rêver....

La neige s'invite dans l'après-midi et tout le décor change. C'est encore plus flagrant en ville. Nous n'avions pas spécialement froid mais, à présent que la neige tombe, on ressent la rudesse du climat. Sur le trottoir, nous passons devant des stands de fringues, de fruits ou de CD qui se recouvrent au fur et à mesure de neige sans que cela ne surprenne vraiment personne. Cela fait partie du jeu. Alors que Jean-Gui est parti récupérer l'autre moité des passeports, je pars en quête d'un billet de train Kiev-Varsovie car Noël approchant, nous avons pu constater que les disponibilités dans les trains ne sont déjà plus ce qu'elles étaient lors de notre trajet aller. Nous nous sommes tous donnés rendez-vous à proximité de la gare. Après avoir bataillé sans résultat, je pars en direction du point de rencontre et je m'amuse à suivre les femmes et les enfants à la trace. En effet, la carriole laisse derrière elle des empreintes bien reconnaissables dans la neige (déjà cinq bon centimètres), malgré la foule. La nuit tombe dans un silence relatif. La neige a cette faculté d'absorber les bruits de la ville et de la circulation, vous laissant apprécier le sourd crissement de la neige qui se tasse sous nos pieds. J'adore...

A peine l'équipe est-elle réunie, qu'il faut déjà se séparer. En effet, une fois arrivé dans la petite bourgade de Sarichagan, nous n'aurons surement pas de connexion internet, ni aucun moyen d'acheter les billets tant convoités pour le Kiev-Varsovie. Donc, nous devons encore le tenter puisqu'il nous reste deux heures avant le départ de notre train. Caro et moi laissons donc Jean-Gui et Chantal faire manger la marmaille. Résultat de la recherche, nous pourrions nous faire poster les billets par une agence anglo-russe (Real Russia, auprès de laquelle nous avions acheté le billet Astana-Kiev) mais nous ne pouvons pas les payer par Internet (faute de téléphone portable pour recevoir le code de sécurité indispensable aux opérations en ligne dépassant un certain montant). En appelant la Deutschbahn (la SNCF allemande), nous pourrions les payer par téléphone mais ils ne peuvent pas les poster à l'étranger... allez, on oublie... Il est 20h50, nous montons dans notre train pour la nuit.Tout le monde est rincé et la troupe ne fait pas de vieux os. La journée a été une véritable succession de chassé-croisé...

Samedi 4 décembre, nous arrivons à 7h40 dans la ville (fantôme) de Sarichagan. Bon ok, c'est encore la nuit lorsque nous nous arrachons de ce train douillet, avec les enfants aux yeux à mi-clos, mais à voir l'aspect de la gare et de ses environs, c'est sûr qu'on n'est pas dans un haut lieu du tourisme, même Kazakh.

On se réfugie dans un premier temps dans la gare car le froid est mordant. Nous scrutons les alentours, la place est vide et les devantures des épiceries et du café sont anonymes. Il n'y a presqu'aucune vitrine qui laisse entrevoir depuis l'extérieur ce qui se trouve derrière les portes. Nous sommes obligés de les ouvrir pour découvrir de quel genre de commerce il s'agit avant de tomber enfin sur un café. Avant de quitter la gare, nous voulons savoir à quelle sauce nous serons mangés pour nous rendre à Astana. A ce stade de la compétition, les informations dont nous disposons sont relativement pessimistes sur les possibilités de poursuivre en train mais ce serait plutôt en bus. Nous toquons tout de même à l'unique guichet de la gare, une minuscule lucarne de 30 cm de côté avec des barreaux de prison. On a dû mal à se comprendre malgré la meilleure des volontés. Au final, nous devinons qu'on ne peut acheter des tickets que pour le jour même. Cool, cela veut donc dire que la piste du train n'est pas totalement à écarter. On déménage dans le café repéré précédement. Il n'est qu'à 50 mètres mais on n'ose même pas s'y aventurer sans remettre toutes nos épaisseurs de vêtements. L'intérieur du café-épicerie est sobre et exigüe mais on s'y sent bien.

      
Côté cuisine,                                         côté épicerie.  

Le poêle de la cuisine diffuse une chaleur relative ( environ 10°C) cependant le contraste avec l'extérieur accentue la sensation de chaud. La table se remplit de thé, de café, d'oeufs durs ou sur le plat, de beignet à la viande ou à la purée. On attire la sympathie des tenancières qui ont l'air d'accueillir leurs premiers touristes étrangers. Jean-Gui entame alors la conversation avec une sourde-muette... Et bien croyez-le ou non, mais le handicap passe inaperçu et les deux se comprennent tout aussi bien. Elle et son compagnon nous apprennent qu'aucun bus ne rallie Astana (à plus de 600 km) en cette saison. Aïe, on avait pas recoupé l'info au préalable, c'est pourtant la règle du voyageur. Ils nous indiquent également le seul hôtel du coin, juste en face, pour 1,25 € le lit en dortoir, vraiment très bon marché, même pour le Kazakhstan. Jean-Gui et moi partons en reconnaissance pour pouvoir nous y installer au plus tôt avant de visiter les environs. Comme on nous l'a conseillé, on s'adresse à la caissière d'une épicerie qui saisit son... talkie-walkie. Dans les cinq minutes, un jeune homme nous fait faire le tour du bâtiment. On passe devant des barraquements, constitués de briques et de broques, d'où en sort une vieille dame chichement vêtue et chaussée d'énormes bottes en feutrine sans semelle... On commence à se poser des questions non seulement sur le bled dans lequel on est tombé, mais également sur l'époque... Tout semble si loin de l'année 2010...


Le bus V.I.P. pour Astana

Le jeune homme, peu loquace, nous conduit à l'étage par une cage d'escalier minable, ouverte à tous les vents. La porte du soit-disant "hôtel" s'ouvre alors sur un logement "propre" mais défraîchi, de trois pièces : deux dortoirs et une cuisine. Un dortoir est fermé et l'autre dispose de 10 lits de camps à ressorts superposés ; la "cuisine" est équipée d'un poêle à charbon, d'une petite table et deux bancs. ll n'y a pas d'évier, pas de toilettes, pas de douche, bref aucun point d'eau à part un vieux bidon de 5 litres... Pour se soulager, notre homme nous montre du doigt la fenêtre, ce que nous interprétons d'une manière élégante par : "désolé Messieurs mais les toilettes se trouvent à l'extérieur." Nous voilà gâté !!! Le bonheur est dans le pré, c'est sûr. On convient du prix, avec le charbon svp, en rallongeant la sauce pour être sûr, au moins, d'avoir bien chaud, à défaut d'avoir le confort d'un logement quatre étoiles.

On retourne au café, annonçons la couleur aux filles et rapatrions la troupe dans notre "home glauque home". Les visages des petites patates nous ravissent. Mettez-vous à leur place : 10 trampolines rien que pour eux, des coussins, des couvertures pour faire des cabanes, bref la caverne d'Alibaba. C'est sûr qu'il y a certaines choses, qui pour eux, passent complètement inaperçues et cette insouciance est belle à voir. Du coup, on relativise. Après tout, on serait dans un refuge de montagne, on aurait le même confort et pourtant nous serions enchantés d'y séjourner. Bon, il y a les montagnes en moins, mais quelque part, derrière ces maisons, se cache un lac grand comme un département français. Sur ces réflexions, le jeune homme réapparaît pour nous allumer le poêle et revient sur le prix... La négociation tire en longueur, une incompréhension réciproque et frustrante nous lasse. C'est en reprenant les données du problème à la base que Caro trouve la clé du mystère : le prix était entendu par tranche du 12 heures et non de 24 ! Allez, ça reste raisonnable mais il fallait tout de même comprendre la logique.

Assez perdu de temps, la ballade nous attend. On goûte aux joies de la neige et des glissades sur les flaques gelées. Au hasard des passants, on demande encore si des bus se rendent à Astana mais c'est "niet". En constatant que la route nationale est blanche, cela ne nous surprend qu'à moitié. Emmitouflés de haut en bas, les enfants sont gauches sur la neige dure et on n'avance pas un cachou.  En même temps, il n'y a pas l'air d'y avoir des restos aux alentours et on fait rapidement demi-tour pour ce réfugier dans notre café-repère car il est déjà plus de 13h.

L'après-midi, Jean-Gui retourne aux infos à la gare. Il en ressort qu'il n'y a plus de billet de train avant trois jours mais que l'on peut tenter de monter dans le train sans billet et de soudoyer le provodniste à coup de biftons. Sinon, il semble qu'il y ait tout de même des bus pour Astana qui partent le matin entre 8 et 10 heures. Dans la tête de Jean-Gui, un départ dès le matin s'impose. Dans ce temps, et loin de ces considérations, je pars en reconnaissance pour localiser le fameux lac Baïkas, en prévision de notre ballade du lendemain. Le village qui s'étend à ses abords est un subtile mélange de bidonville, de western sibérien (avec des jeunes qui font rugir le moteur de leur vieille Lada), de village des années 40 où se croisent des chariots chargés de bidon d'eau que les gens ramènent des fontaines publiques.

Enfin je découvre l'immensité du lac, par un soleil déjà rasant. Sa surface gelée est magnifiquement parsemé de "rose de neige".

       

Jean-Gui arrive à ma rencontre. On commence à discuter avec un petit groupe d'habitants qui revient du lac en side-car. Ils y ont fait un trou pour en puiser de l'eau, apparemment de meilleur qualité que celle fournie par les fontaines. Cette rencontre nous amuse réciproquement : on rigole de nos différences, on se chambre mais avant tout on se respecte. Malgré les conditions, il semble important dans leur culture que chaque individu se serre la main après avoir enlevé ses gants. C'est con à dire mais on a l'impression que ces poignées de main ont encore plus d'importance qu'il en coûte de se défaire de ses moufles par ce froid. D'autant plus que ces campagnards ont l'air mal équipé, selon nos critères à nous. On sent bien qu'en y consacrant plus de temps, nous pourrions vraiment partager beaucoup avec ces gens chaleureux, curieux et d'un autre monde. En observant la photo ci-dessous, vous les entendrez peut-être éclater de rire comme lorsque nous la leur avons montré sur l'écran de l'appareil photo.

A la tombée du jour, inutile de vous dire que l'on aurait pu se faire embarquer pour quelques verres de vodka bien au chaud dans leur maison, mais nos familles nous attendent sûrement. En effet, c'est le cas et avec de nouvelles infos qui plus est. La propriétaire de notre logement, venue discuter avec les filles, a décidé de nous aider. Elle est allée à la gare avec Caro pour tenter d'acheter un billet, peine perdue. Notre seule chance, nous dit-elle, c'est de se pointer demain matin devant le premier train, en sa compagnie, qu'elle explique notre cas au provodnitsk et qu'elle négocie pour nous notre laisser-passer . Bon, cela veut dire que nous ne passerons pas la journée du lendemain pour visiter le lac tous ensemble mais nous ne pouvons risquer de perdre notre billet de train Astana-Kiev et le visa qui va avec. Donc nous acceptons volontiers son aide. Et il est à quelle heure le premier train ? 5h08 !!!! Cool....hmmm... very cool à cette heure-là. Bon, c'est entendu.

5 décembre 2010, après une nuit de 4 heures, nous voilà face au train de 5h08, dans une forme olympique, en compagnie de notre aide-interprète-négociatrice. Elle toque au premier wagon, la porte s'ouvre. Echange de paroles incompréhensibles en russe avec le provodnitsk ; réponse de celui-ci parfaitement compréhensible : NIET ! La même réponse nous fût donnée à toutes les voitures. Bon, le prochain train est à 5h40, peut-être aurons-nous plus de chance. Pendant notre attente à la gare, on remarque un bus sur la place. On fonce questionner le chauffeur mais il nous confirme qu'aucun bus ne va à Astana par les temps qui courent. Ce sera donc le train, ou rien.


Notre père qui êtes aux cieux, envoyez-nous un train...

Il faut croire que quelqu'un a entendu notre prière car une provodnitsa finit par nous laisser monter dans le train suivant pour la modique somme de 20 000 tenge (100 euros, soit deux fois plus que le tarif normal). Une bonne motte de beurre dans les épinards de celle-ci mais on est bien content d'être à nouveau sur les rails. Pour l'instant nous sommes installés dans sa cabine, sur une banquette deux places. A mi-chemin, nous devrions avoir droit à quatre couchettes pour la sieste des enfants, nickel. Après le petit déj', les enfants naviguent dans le couloir qu'ils investissent complètement car à cette heure matinale, il n'y a pas trop de va-et-vient. Nous faisons de même.

Plus tard, nos têtes blondes se feront accueillir tour à tour dans différents compartiments, récoltant sourires, histoires à raconter, et friandises auprès d'un public conquis, dont spécialement un couple de grand-parents d'adoption. Finalement, aucune couchette ne se libère,. Il faut se rendre à l'évidence, il va falloir trouver un enchevêtrement logique pour faire siester quatre patates dans un mètre carré.

                      Voilà la solution 

Nous rencontrons Mermeck (Mecka pour les intimes), étudiant en médecine, qui nous offre son aide et celle de ses potes pour trouver un appartement sur Astana et nous faire visiter la ville le lendemain. Beaucoup de particuliers proposent en effet leur bien à la location même pour une nuit. Nous arrivons à Astana en fin d'après-midi et sommes accueillis par les potes de Mecka : Saba et Almas qui vont se révéler être de vraies lumières dans la nuit....

Avertissement à nos très chers lecteurs : nous vous mettons en garde que si vous poursuivez d'une traite la lecture du présent carnet de voyage, vous risquez l'overdose. Ce serait dommage juste avant le sevrage. Aussi nous vous conseillons de reprendre une activité normale et de poursuivre la lecture plus tard. Bien sûr, vous restez seul maître de votre âme.

En moins de deux, nos nouveaux amis nous dégotent un appart'. La proprio, d'un certain âge, nous sermone avant l'heure : faites pas ci, faites pas ça et les enfants doivent rester calmes car les voisins sont difficiles. Allez, on signe quand même car ils se sont déjà appropriés les lieux et surtout les armoires pour une partie de cache-cache.

On invite cette jeunesse kazakhe (la vingtaine) à prendre l'apéro mais ils déclinent. Quelque part ça nous arrange car nous ne nous sentons pas bien vaillants. Nos amis nous quittent après nous être donnés rendez-vous le lendemain 9h pour une visite guidée de la ville. Chantal part faire les courses ; Jean-Gui se coltine une énième tentative d'acquisition de billets de train Kiev-Varsovie. Caro et moi cuisons les enfants et baignons leurs pâtes. Le plan semble se dérouler à merveille.

6 décembre, jour de la Saint-Nicolas et début des emm..... Saba est au rendez-vous, il sera notre plus fidèle allié contre le sort, notre "Huggy les bons tuyaux", et ce jusqu'au quai de la gare. Tout foire lorsque nous nous rendons à la gare pour acheter les billets Kiev-Varsovie, qui par le plus grand des hasards peuvent s'acheter à un banal guichet. Si on avait su, on aurait pas bataillé autant sur Internet. Hélas, c'est là qu'est l'os, les places sont disponibles, le prix est deux fois moins chers, on peut les payer en liquide MAIS, notre enregistrement auprès des services de l'immigration a expiré... Nous voilà donc dans l'illégalité la plus totale, et donc privés du droit d'acheter un billet de train international.

Nous nous rendons au poste de police de la gare pour comprendre réellement ce qui se passe et surtout ce qui nous attend. Cette formalité d'enregistrement avait été effectuée à Almaty et on nous avait demandés à quelle date nous quitterions la ville, soit le 5 décembre. En réalité, la date à renseigner dans cette case était la date jusqu'à laquelle nous étions autorisés à rester sur le territoire.

Nous aurions dû mettre sur notre document d'enregistrement le 7 décembre, ou pour plus de sécurité, le 14 décembre, date d'expiration de notre visa kazakh. On demande au policier ce qu'il va nous arriver lorsque nous atteindrons la frontière. Première version : nous serons expulsés en France, mais pas de la manière dont on souhaiterait l'être. Le policier nous invite à aller prolonger notre enregistrement à la "registrazione". On emboîte le pas à Saba qui s'est fait expliquer le chemin pour s'y rendre. Demi-tour derechef, Saba rediscute avec le policier. Deuxième version : nous serons bloqués à la frontière et invités à régulariser notre situation. Mais en gratant encore, on a droit à une troisième version : les autorités ne nous laisseront même pas monter dans le train. C'est sûr, il faut vraiment faire quelquechose et vite, car notre train part demain matin à 10h. Si on ne peut pas le prendre, on perd notre visa de transit russe de 4 jours. On rejoint les filles qui avaient migrer entre temps vers un resto pour faire manger la marmaille. Il est 12h30 et Saba nous dit que normalement, la registrazione ferme à 13h. Il faut encore passer à l'appart' pour récupérer les passeports donc on chope un taxi. On charrie le chauffeur pour qu'il écrase l'accélérateur et ça marche. On arrive à 13h devant la porte, la femme de ménage nous fait signe de faire demi-tour. On joue un peu les sourd-muets et beaucoup les marrioles pour passer outre, en lui arrachant à l'occasion un sourire. Jean-Gui avance à quatre pattes jusqu'au guichet pour faire discret mais se trouve face à une femme qui n'a pas le même sens de l'humour et qui lui dit sur un ton ferme : "GO OUT !". Il ressort sans attendre son reste, à moitié fier de sa connerie. Nous avons donc jusqu'à 14h30 pour flâner entre les monuments que nous commente Saba.

                 
Les deux frères qui ont unifié le pays                                                                          

La faim nous rattrape et nous atterrissons dans un espèce de Mac Kazakh. Saba remarque une guitare dans la salle. Il l'emprunte pour notre plus grand plaisir et se met à jouer "Aïcha" de Khaled, puis une chanson de Joe Dassin (visiblement très connu au Kazakhstan). Voilà comment on se retrouve à pousser la chansonnette en plein resto.

Almas nous y rejoint, ainsi que Bulat dont on fait la connaissance. Ces jeunes sont amusés de passer un moment en notre compagnie, et nous de même. On en oublie un peu l'heure si bien que c'est déjà la cohue à la registrazione. Nos trois accompagnants se démènent comme des beaux diables, allant de porte en porte, poireautant 10 minutes par ci, un quart d'heure par là avec une patience qui force l'admiration (n'est-ce pas JG?). Ils ont pris les choses en main. Mais au fur et à mesure de l'enquête, nous lisons sur leur visage l'inquiétude. Il n'est pas possible de prolonger l'enregistrement ailleurs que là où il a été effectué, c'est-à-dire Almaty.... Mais c'est un gag ou quoi ? ( Jean-Denis, il est là le gag que tu nous avais demandé dans le livre d'or)... Impossible de faire l'aller-retour en moins de trois jours et notre train part demain. La situation est préoccupante. On insiste auprès des policiers. Est-il possible de prolonger à la frontière en expliquant que l'erreur n'est pas de notre fait ? Réponse : "Vous êtes actuellement dans l'illégalité, amendable à hauteur de 75 € par personne, ce qui ne vous dispense nullement de régulariser votre situation". Ok, tout ceci nous dépasse, nous décidons de nous rendre à notre ambassade. En plus, Almas a un ami français qui y travaille ; il le contacte en route. Selon l'ami, nous devons prendre contact avec le service consulaire à Almaty, qui est en charge des problèmes des ressortissants français. Il faut savoir qu'Astana n'est la capitale du Kazakhstan que depuis 1997, et qu'avant c'était Almaty. Almas s'en charge pour nous mais le consulat botte en touche ; ils ne peuvent rien faire à distance. Almas téléphone alors à la registrazione d'Almaty qui lui répond que les autorités d'Astana sont à même de résoudre notre problème. C'est tellement énorme qu'on en rigole. On retourne d'un pas décidé à la registrazione, prêt à en découdre. On leur explique pourquoi nous sommes de retour. Nous avons même l'honneur d'avoir affaire avec le boss, que l'on aura attendu une bonne heure. Réponse : "en fait vous êtes même passibles d'être arrêtés, de passer en jugement (ce qui peut prendre quelques jours) et de payer une amende de 250 € par personne. Retournez à Almaty". Les policiers d'Astana ne sont décidément pas disposés à nous aider.

On rentre la tête basse à l'appart' non sans avoir acheté une vodka et des bières pour fêter les bonnes nouvelles et surtout remercier nos compagnons de galère qui avaient signé pour nous faire visiter leur ville et non pour batailler avec les autorités. Du haut de leurs 20 ans ils se sont bien démenés comme je n'aurais sûrement pas su le faire à leur âge. Une chance qu'ils soient tous en vacances exceptionnelles à cause du récent sommet international de Astana.

L'apéro nous libère du stress de la journée mais ne nous sort pas de la mouise. Nous engloutissons tous ensemble la poté que nous ont préparé les filles. Nous devons faire le choix de prendre le risque ou non de monter dans notre train de demain matin. Nous savons que si nous ne le faisons pas, nos billets de train et nos visas russes sont perdus. Mais Saba enfonce encore le clou. La ligne ferroviaire Astana-Kiev zigzague entre le Kazakhstan et la Russie, si bien que nous franchissons trois fois la frontière, soit trois chances de se faire expulser du train si les autorités ne font pas preuve de clémence...et ce n'est sans doute pas pour cette qualité qu'ils sont payés.

Le plus raisonnable est donc : un sacrifice humain ! L'un de nous doit descendre à Almaty (l'équivalent d'une traversée de la France), faire prolonger l'enregistrement par des policiers qui ne voudront pas reconnaître leur erreur, et remonter dare-dare. En effet, nous avons une échéance pour notre arrivée en France : nous sommes attendus pour une choucroute party le 17 décembre, Jean-Gui et Caro en repartent le 18, pour une arrivée à Théoule le 19 décembre. Une fois enregistrés, il faudra racheter des billets et refaire notre visa de transit russe, en express cette fois. Pour couronner le tout, Saba nous confirme que nous ne sommes pas autorisés à acheter un billet de train, il faudra donc prendre un bus, si tant est qu'il circule. Bulat et Almas rentrent chez eux, tandis que Saba dort chez nous. On se couche sur cette idée, saoul de fatigue, et d'un peu de vodka aussi.

7 décembre 2010. Au réveil, nous sommes à nouveau sur le pied de guerre. Saba souffre d'une bonne migraine dûe à un défaut d'oreiller...(c'est cela oui). Nous avons la matinée devant nous car le premier bus pour Almaty est à 14h. Autant s'assurer avant que l'on peut obtenir un visa express à Astana, et voir comment on peut se faire rembourser ou modifier notre billet de train Astana-Kiev que nous allons laisser partir sans nous ce matin et à contre-coeur. Almas, fidèle à notre cause, nous retrouve au petit déj' avant de partir au charbon ensemble. Saba, Almas et moi partons pour le consulat russe pour tenter au mieux de faire glisser notre visa de quelques jours, au pire de voir pour le refaire en express. Après moultes négociations, ce sera le pire, et pour 560 € tout de même...

Pendant ce temps, Jean-Gui retente sa chance par téléphone auprès de l'ambassade. Après s'être entretenu avec la secrétaire de l'ambassadeur, très compréhensive, il est finalement dirigé vers un attaché de presse, Ekbas, qui va tout faire pour nous dépatouiller, bien que ce ne soit pas sa fonction première. Celui-ci appellera même le ministère des affaires étrangères en France, pour des raisons que nous ignorons.

Nous avons droit au bouquet lorsque celui-ci nous apprend que les ressortissants français n'ont en réalité pas besoin de se faire enregistrer. Mais maintenant que nous l'avons fait, il faut obligatoirement le prolonger pour pouvoir sortir du territoire. Vous le croyez ??? Et si les Patates Douces étaient des grosses mytomanes ? Si seulement....

Ekbas nous donne rendez-vous dans l'après-midi à d'autres bureaux de la registrazione à Astana, à un niveau hiéarchique supérieur. Ekbas parle un assez bon français, il a la classe et son étiquette de l'ambassade va être du plus bel effet. Il nous dit de patienter dans le couloir et rentre dans le bureau du chef avec nos passeports. Il en sort un quart d'heure plus tard avec nos papiers d'enregistrement prolongés et parfaitement en règle. Un drôle de sentiment nous anime : on est à la fois soulagé et un peu dégoûté que cela ne se soit pas passé ainsi la veille, ce qui nous aurait permis de conserver nos précieux billets et visas russes. Nous remercions vivement Ekbas dont l'efficace intervention nous évite tout de même le déplacement à Almaty. On fonce à la gare pour voir les possibilités de poursuivre le trajet voire même de trouver le moyen de traverser la Russie dans le créneau restant (plus que trois jours sur quatre). Je passe le détail des recherches qui se sont fait tout azimut, visant tantôt l'Ukraine, tantôt l'Estonie. Mais le plus rapide que l'on ait trouvé par le train, nous faisait sortir de Russie le 11 décembre à 2 heures du matin. Seulement deux petites heures de dépassement du visa, mais les forums de voyageurs nous dissuadent de prendre le risque. La mort dans l'âme, nous capitulons. Plutôt que de faire refaire des visas russes, nous avancerons jusqu'à Moscou en train et quitterons la Russie in-extremis à 22h55 en... avion.

Arrgh..... ça me fait même mal de l'écrire mais c'est la vérité vraie. Le bilan carbone du voyage en prendra un coup mais c'est ça ou adieu la choucroute du 17 décembre. Il y a des choix difficiles dans la vie, n'est-ce pas ? Mais on n'est pas au bout de nos surprises. On patauge dans la semoule, on voit le prix du billet grimper de minutes en minutes et au moment de clore la transaction, on se rend compte que l'on ne peut pas payer le billet en ligne depuis l'étranger... La scoumoune nous colle au..... On vient d'acheter le billet de train Astana-Moscou (départ demain à midi) et si ça se trouve, on ne va pas pouvoir acher le billet d'avion Moscou-Kiev. Ce serait la totale. On ne voit pas d'autres solutions que d'appeler au secours en France. On essaie plusieurs numéros et ouf, super mamie Cécile décroche. Avec l'aide de ses voisins, une heure plus tard nous accusons réception des billets électroniques sur notre messagerie patatesque. Merci à vous trois !

Saba est aussi épuisé que nous, il rentre chez lui et nous rencarde à demain 10h pour nous accompagner à la gare. Il est 21h30, on en fait de même. On raconte le feuilleton du jour à nos femmes en se régalant d'un bon petit plat. Hasard ou coïncidence, nous arriverons comme prévu intitialement le 10 décembre à Kiev, ça tombe bien nous avions réservé une guesthouse. C'était sûrement écrit quelque part que nous prendrions l'avion. On tombe comme des masses.

8 décembre 2010 : une journée sans surprise, sans renversement de situation. Saba est fidèle au rendez-vous. On file tous aux jeux pour enfants pour se dégourdir et s'aérer avant deux jours de train.

On tire un grand coup de chapeau à Saba, qui aura vécu cette galère de l'intérieur. Il ne nous a pas seulement servi d'interprète, il a maintes fois pris les devants, usant et abusant de son téléphone portable pour nous fournir toutes les infos dont nous avions besoin. A cause de nous, il a même décalé son séjour chez ses parents. Il a été un véritable virtuose sur Internet pour découvrir les antres du réseau ferroviaire kazakho-russe. Sur le quai, on sent à nouveau l'émotion des aurevoir. En septembre 2011, il devrait s'envoler pour l'Angleterre pour ses études grâce au programme "working-travel". Et pourquoi ne se reverrait-on pas un jour ?

Nous voilà dans le train, superbement installé, un pur moment de bonheur. Rien à réfléchir ou presque. On s'efforce même de ne pas trop penser au retour pour ne pas passer à côté de ce trajet, pour lequel on en aura bavé. Le décor est blanc jusque sur les branches des arbres. Seuls les villages entiers de maisons en bois peintes en vert et en bleu viennent donner de la couleur au paysage. Le passage frontière se fait comme une lettre à la poste. On veille à ce que les douaniers regardent bien que nos documents sont à jour...

Au final, on aura bien galéré, dépensé beaucoup d'énergie, mais on en retient également pas mal de sourires voire de fou-rires avec nos nouveaux amis, et ça, c'est sans doute ce que nous retiendrons du voyage.

Sur ce, je vous rend l'antenne, à vous Guy Lux.

 

Jacques

 

Chine, de Heku à Ürümqi, du 8  au 24 novembre 2010 :

Et oui, les Patates sont arrivées à pieds par la Chine (oui bon OK c’est un peu facile, mais je n’ai pas pu résister).

Sans nos vélos nous nous transformons en sherpas, chargés de nos huit sacs et de nos quatre enfants. Heureusement ces derniers ont grandi et marchent sans trop rechigner à nos côtés, ce qui nous permet de mettre les sacs dans la carriole et finalement de marcher d’un pas (relativement) léger. Avoir largué la carriole des petites Patates Steiner nous simplifie également le casse-tête du rangement de nos affaires dans le train, ce qui n'est pas négligeable. Et du coup, aux étapes, les enfants prennent beaucoup de plaisir à s'entasser à quatre dans notre carriole.

  

Kunming, son mélange de style    ...     et ses enfants curieux devant notre carriole.
   

En route pour notre deuxième escale chinoise : Chengdu.
Chantal profite du trajet en train pour avancer le carnet de voyage, perchée sur sa couchette du haut, l'ordinateur posé sur le rangement à bagages :       

A Chengdu, nous logeons dans le quartier tibétin. Nous avons longuement hésité à faire un crochet par Lhassa au cours de ce retour en train, pour finalement résister à ce petit caprice qui nous aurait fait faire un grand détour pour au final que quelques jours passés sur place. Du coup, se retrouver dans ce quartier où la grande partie des habitants sont vêtues à la façon tibétaine nous donne un peu l'impression d'y être passé. Cela nous permet également de constater que ces gens paraissent libres de vivre pleinement leur culture sans avoir à se cacher, ce qui n'était pas évident pour nous.

Dans le quartier, la tente d'un restaurant tibétin dans lequel nous nous sommes régalés :
  

Outre ce quartier haut en couleur, nous avons d'une manière générale beaucoup apprécié cette ville élégante.


Dixit Jacques (avec l'accent) : "Yo, ça ne faut tout de même pas les maisons à colombache d'Alsace"

Jolis jeux de lumières.                                       
 
                            

        
       "Ouah la vaze Zozeph ! Z'est pas un vrai ze zeval !"
            

                                                          Quand le moderne côtoie le traditionnel.

 

Cette escale à Chengdu sera l'occasion d'aller rendre visite à l'icône emblématique de Chine : le panda.
Se trouve en effet, en périphérie de cette ville, le plus important centre de recherche sur cet animal où les scientifiques réussissent à le faire se reproduire en captivité.

                                                 
          
        Le panda géant et son cousin le panda rouge :
                             
Ce centre est bien entendu une formidable initiative permettant de mieux connaître cette espèce en voie de disparition. En aurait-il été de même si le panda n'avait pas été si mignon ? Ce gros nounours à l'air débonnaire est si attendrissant qu'on trouve normal de mettre en oeuvre d'importants moyens pour le protéger. Mais quid des autres espèces, animales ou végétales, qui jouent pourtant un rôle important dans le cycle de la vie et qui sont tout aussi menacées ? L'homme semble surtout s'émouvoir pour ce qu'il trouve beau, le reste l'intéresse moins car il ne lui apporte que trop peu de plaisir. Les môches n'ont qu'à se débrouiller !

Après Chengdu, cap au nord pour l'ancienne capitale de l'empire du milieu : Xian.
                                                                    

Xian constituait l'extrémité orientale de la route de la soie et possède une importante communauté musulmane.
Comme dans le quartier tibétin de Chengdu, nous avons l'impression de voyager ailleurs et savourons ce mélange de cultures ainsi que cette nouvelle cuisine.
  
                                           Une mosquée à l'architecture asiatique
                               
Dans un restaurant islamique, les serveurs dégainent leurs téléphones pour prendre en photo les petites Patates :  
                                                                                        

Ici, quasiment tout le monde a un téléphone pouvant faire des photos et nos enfants doivent régulièrement poser dans les bras des uns ou des autres. Par conséquent, nous avons beaucoup moins de gêne à sortir le nôtre, l'équilibre entre touriste et autochtone est enfin rétabli, de ce point de vue là.

Tandis que les femmes tricotent dans un parc,           les hommes jouent au Ma Jong sur le trottoir.
  
                                                               Chador et caractères chinois ...
                                                 

Réparateur de bicyclettes sur le trottoir.

Nous qui pensions avoir un gros chargement à tracter durant ces 9 derniers mois ...
                                           

Mais Xian fut autrefois le centre du monde chinois et, deux siècles avant la fondation de Rome, était une grande cité de renommée internationale.
Parmis les vestiges de ce passé glorieux, nous visitons l'incontournable armée de soldats de terre cuite. Vieille de 2000 ans cette armée, enfermée dans des souterrains autour de la nécropole de l'empereur Qin Shi Huang, avait pour but de l'accompagner pour son voyage au-delà des vivants
. Plus de 6000 guerriers et chevaux de taille réelle ont ainsi été exhumés, suite à leur découverte en 1976 par des paysans creusant un puits.

             
                                   
                                    
  

Et avant de quitter Xian, un dernier petit tour de la ville :
           

                                                                                    

Jean-Guillaume 

Nous avons quitté Xian par un nouveau train de nuit en direction de Jiayuguan où nous allons pouvoir réparer un acte manqué lors de notre premier passage en Chine : fouler la Grande Muraille de Chine.

Pour rallier ces deux villes, nous traversons le désert et au loin, nous apercevons les contre-forts de l'Himalaya
    

Et bien nous y voilà, nous avions eu le sentiment à Xian de retrouver les sensations automnales, cette fois, c'est bien l'hiver qui nous cueille à la descente du train.
Le froid et la tombée de la nuit nous font quelque peu nous précipiter dans un hôtel qui ne sera pas notre meilleur logement, loin s'en faut, et dont la clientèle a vraisemblablement plus l'habitude de louer des chambres à l'heure que pour deux nuits ...
Les va-et-vient nocturnes rythment notre sommeil, alors quand vers 4 heures du matin, quelqu'un tape à la porte de la chambre des Steiner, ces derniers dans un demi-sommeil lancent qu'il s'agit d'une erreur. Quiconque a déjà passé une nuit, ou fait un bout de route avec les Steiner, connaît leur épatante aptitude à s'endormir en quelques secondes quelles que soient les nuisances environnantes : ils se retournent donc dans leur lit et replongent dans les bras de Morphée. Mais ils insistent les bougres et tambourinent à la porte. Jacques se lève, entrouve la porte pour apercevoir un homme, inconnu, en premier plan, et en second plan, une femme, tout aussi inconnue. Cependant cette dernière porte dans les bras un petit bonhomme qui, lui, a une tête bien familière : Joseph ! "Mais qu'est-ce que tu fais là ?" "A cherche Maman", répond Joseph. Merci M'sieur Dame, celui-là je le récupère et faudra nous expliquer comment il a réussi à sortir de la chambre dans l'obscurité totale alors qu'il atteint à peine la poignée de porte ! Un mystère. Depuis les portes de chambres des Steiner sont fermées à clé la nuit pour éviter toute nouvelle escapade somnambulesque ...
Au réveil, après que Chantal et Jacques nous aient raconté les dernières pérégrinations nocturnes de "Jo l'anguille", nous décidons d'aller à la rencontre de la Grande Dame, un petit coup de taxi et la voilà qui se dresse devant nous.

Certes, elle ne s'étend pas sur des kilomètres comme à Pékin, mais la Grande Muraille de Jiayuguan est plantée au milieu de nulle part. Constituée de terre et de pierre, elle présente l'avantage de ne pas être touristique, enfin c'est en tout cas le sentiment que nous avons eu.
Outre la beauté de l'ouvrage, nous avons été tout aussi charmé par les paysages désertiques environnants, et par le calme des lieux. Le silence et le calme, quel luxe, nous l'avions presque oublié depuis ces dernières semaines citadines. 

Jeanne et Cylia vous présentent la muraille de Jiayuguan

L'une des fenêtres vue sur les montagnes et de l'autre côté, le désert. 

 Une muraille rien qu'à nous ...

à se partager tout de même avec quelques chameaux de passage, rien de plus normal sur la route de la Soie.

Sur le site, se trouve également un monastère.
 
  

Cette journée nous a fait l'effet d'un grand bol d'air frais, aux portes du désert sous un radieux soleil. Bref, nous n'avions pu voir la Grande Muraille de Chine à Pékin mais nous sommes ravis d'avoir vu le tronçon de Jiayuguan, où nous avons d'ailleurs quelque peu pris possession des lieux.

Après notre petit tour sur la muraille, nostalgiques (déjà !) de notre voyage à vélo au plus proche de la population locale, nous n'avons pas pu résister à l'appel d'un repas chez l'habitant. Ainsi, faute de restaurant à proximité, une vieille dame nous ouvrira les portes de sa maison pour une dégustation de soupe de nouilles.
 
                

De Jiayuguan à Dunhuang, nous effectuons le trajet en bus et quel trajet ... de quoi en dissuader plus d'un de prendre le volant en Chine, voire même de monter dans un véhicule roulant. Le temps de trajet était estimé entre 5 et 7 heures en fonction des éventuelles tempêtes de sable. Tempête de sable, nous n'en avons pas eu, mais gros coups de vent, oui ! Notre bus, subissant les fortes rafales, faisait de belles embardées. Si notre chauffeur a réussi à garder le cap, ce ne fut pas le cas pour certains chauffeurs de camions, responsables de trois accidents que nous avons croisé sur l'autoroute. Du coup, nous avons pris un itinéraire bis sur des petites routes, pistes seraient même plus exact, sur lesquelles nous serrions les fesses chaque fois que nous croisions un autre véhicule, ou que nous passions sur un pont !

Au bout de ce qui nous a paru un long moment, nous avons rattrapé "l'autoroute de la cour des miracles" comme nous l'avons surnommé : voici ci-dessous les trois files de véhicules au passage du péage.  

Un camion de foin défoncé, un autre remorquant une moissonneuse-batteuse en pièces détachées, et les passagers d'une voiture très fraîchement accidentée (le conducteur avait encore le visage tout égratigné et boitait), qui poussent leur véhicule pour passer le péage, tout cela sans trucage et à la même gare de péage.
 

Nous avons voulu faire le crochet pour venir jusqu'à Dunhuang, car à 25 kilomètres de la ville se trouvent des centaines de grottes creusées par des pélerins de la route de la Soie. Elles contiennent de véritables trésors bouddhiques, remontant pour la plupart au 7ème et 9ème siècle. Les grottes de Mogao s'ouvrent pour nous. Chaque grotte est différente, certaines plus impressionnantes que d'autres comme celles abritant des bouddhas de plus de 30 mètres, ou celles dont les peintures, vieilles de plus de 13 siècles sont superbement conservées.

Compte-tenu de la rareté de ce lieu et de sa fragilité, toute photo est interdite dans les grottes, nous garderons donc ces belles images en nous, mais voici ce à quoi ressemblent les grottes vues de l'extérieur.

Et puis une vue d'ensemble

Le soir, nous allons manger vers le centre-ville, et en fin de repas, alors que nous repartons, nous apercevons des touristes occidentaux, les premiers que nous croisons dans cette ville. Nous nous saluons et la discussion commence. Elsa est française, Eduardo est espagnol, ils voyagent dans la région asiatique depuis un peu plus d'un an. De fil en aiguille, nous apprenons qu'ils ont voyagé un mois à vélo au Cambodge à la même période que nous : "C'est fou on aurait pu s'y croiser. Nous, on a aperçu une fois une famille qui voyageait à vélo avec un enfant, mais pas deux familles ensemble" "Ah bon et vous les avez croisé où, car au Cambodge il nous est arrivé de rouler séparemment?" Et là, ça ne rate pas, c'est bien Chantal et Jacques qu'ils avaient aperçu lorsqu'ils faisaient leur crochet pour aller faire une plongée bouteille. Ils s'étaient croisés dans les montagnes russes du côté de Sihanoukville, les uns en plein effort pendant la montée, souffrant avec le poids de leur carriole respective, les autres lancés à toute allure en pleine descente : ils ne s'étaient que brièvement salués. Elsa et Eduardo n'avaient vu qu'un seul des deux enfants (la marmotte Joseph devait dormir !) et donc forcément au début, personne n'avait fait le rapprochement entre cette rencontre furtive cambodgienne et ces retrouvailles inopinées en Chine.

Bien qu'il soit déjà bien tard, nous discutons un long moment sur le seuil du restaurant. Ils nous apprennent qu'ils viennent d'acheter leur billet de train pour aller à Lhassa, au Tibet, et cela sans qu'on leur ait demandé un quelconque permis d'entrée au Tibet. Douche froide pour nous qui rêvions de faire la visite de Lhassa sur notre trajet retour (bon ok, pas vraiment sur notre trajet mais qu'est-ce qu'un détour de 3000 km sur un périple de plus de 20 000 km en train) mais nous y avions renoncé en raison de ce permis à obtenir et de son coût élevé sachant que nous ne pourrions rester sur Lhassa que quelques jours. Nous nous séparons en leur demandant de nous tenir au courant de la suite de leur aventure et notamment s'agissant de leur entrée au Tibet, sans permis.
Chacun cogite pendant la nuit sans vraiment oser l'avouer aux autres, et le lendemain .... tout fout le camp ... nous déplions la carte de Chine et réalisons que nous sommes exactement au lieu de bifurcation pour rejoindre le Tibet. Ni une ni deux, nous retournons à la gare échanger nos billets de bus en direction d'Ürümqi et du Kazakhstan, contre des billets de bus de nuit en direction de Golmud dans l'espoir d'y prendre ensuite le même train qu'Elsa et Eduardo jusqu'à Lhassa.
Nous ne sommes pas près d'oublier notre première nuit passée dans un bus-couchette. Il faut dire que nous avons eu le temps de bien vivre ce trajet sur une piste très chaotique ... faute de pouvoir fermer l'oeil de toute la nuit ou presque !  

Arrivés à 6 heures du matin à Golmud, 2800 m d'altitude, il fait froid ! Nous nous précipitons dans la gare pour nous habiller plus chaudement. Commence alors une journée qui ira de déception en faux espoirs et se concluera par un verdict sans appel : pas de billet de train sans permis ! Nous tentons d'obtenir des informations sur l'obtention dudit permis mais rien n'est vraiment clair, la barrière de la langue et le fait que nous soyons dimanche n'arrangent rien à la chose !
Alors que nous nous sommes résolus à rebrousser chemin dès le lendemain car il y a toujours trop d'incertitudes quant à l'obtention dudit permis, et que chaque famille a regagné sa chambre d'hôtel pour la nuit, quelqu'un frappe à la porte des Steiner : Elsa et Edouardo ! Et ben ça pour une surprise ! En ville, il y a un certain nombre d'hôtels (et pour cause, nous avons du en visiter cinq avant de trouver le nôtre, cela ne nous était jamais arrivé en 10 mois de vadrouille !) et nous nous retrouvons dans le même. Qui plus est, au même étage (il y en avait six !) et pour finir Elsa se trompe de chambre et tape chez Chantal et Jacques !  Il y a des signes du destin tout de même !
Arrivés de Dunhuang par le bus de jour, ils prévoyaient d'embarquer pour Lhassa munis de leur sésame pour le train, mais il n'en est rien ! Ils ne peuvent embarquer sans avoir, en plus, le fameux permis : on y revient toujours !
Après avoir couché la marmaille, nous nous retrouvons dans la chambre des nouveaux-venus autour d'un thé-bière et la soirée se termine à une heure du matin avec au programme du lendemain une ultime tentative d'obtention du permis tous ensemble. Mais non, rien n'y fait, les coûts qui nous sont annoncés sont vraiment hors-budget pour nous et le délai d'obtention trop long. Cette fois, c'est certain, le Tibet ce sera pour une prochaine fois où nous pourrons y consacrer tout le temps que ce lieu mythique mérite. Nous décidons de quitter la ville le lendemain par le bus de jour, Elsa et Edouardo nous ayant convaincu que les paysages traversés en valaient vraiment la peine. Reprendre un bus de nuit, comme initialement prévu, nous ferait à nouveau rater ce spectacle. Jacques se rend donc à la gare où on lui indique que pour prendre un bus de jour il nous faut un "Alien's travel permit" car les étrangers ne peuvent pas voyager librement entre Golmud et Dunhuang ! Jacques explique donc qu'on a fait le trajet inverse deux jours auparavant sans permis ... oui mais de nuit, lui dira-t-on ! On lui explique qu'il doit se rendre au BSP pour acheter ce permis. Jacques s'y rend donc, mais comme nous sommes dimanche, le responsable n'est pas là, et les personnes présentes ne parlent pas anglais. Difficile de se comprendre ! Pour finir, le responsable est appelé sur son portable et dans un très bon anglais il explique à Jacques qu'il faut bien un permis, c'est la loi chinoise ! Il en faut un par personne, pour les bus de jour comme de nuit et y compris pour les enfants ! L'addition de ce petit détour commence à s'alourdir. Le responsable indique qu'il sera à son bureau à 8 heures le lendemain et qu'il l'attendra donc pour établir les huit permis. Jacques, sceptique, retourne à la gare des bus, histoire de se faire confirmer ou non l'information du permis pour le bus de nuit également. La dame décroche alors son téléphone et compose un numéro que Jacques reconnaît mais trop tard ... le responsable du BSP, irrité d'être dérangé en plein week-end et on le comprend, répète à Jacques ses précédents propos mais sur un ton un peu moins sympathique, oups !

De retour à l'hôtel, nous débriefons tous ensemble, bus de jour ou non, achat de permis ou non ... nous décidons de maintenir le bus de jour mais de n'acheter que quatre permis sachant que nous n'achetons que quatre billets de bus puisque les enfants ne paient pas !
Je me rends au BSP à mon tour, le plan étant que je passe sous silence les enfants et le fait que Jacques ait appelé la veille en espérant ne pas retomber sur la même personne. Peine perdue, à peine ai-je franchi le seuil de la porte en demandant un permis que déjà un monsieur s'approche de moi et me demande si c'est moi qui ai appelé dimanche, je réponds par la négative. Il poursuit en disant que c'est peut-être mon mari, je nie. Il me sort alors une petite pile de photocopies :
 des passeports. Les deux premiers sont ceux d'Elsa et Eduardo, (décidemment !), il me demande alors si c'est moi, heu non, pas vraiment, puis deux autres copies de passeports d'hommes qu'il passe rapidement, enfin, la trombine de Jacques m'apparaît ! Aïe, les choses se compliquent : la question ne tarde pas, "C'est votre mari ?". Bon, là je peux encore répondre non, mais vu que je tiens dans ma main le passeport de Jacques, je ne peux quand même pas décemment prétendre ne pas le connaître. Notre fonctionnaire zélé me demande enfin si c'est mon ami, et là je réponds par l'affirmative. Il semble satisfait par cette réponse et enchaîne en disant " Et vous avez quatre enfants ? ". Un ange passe. Que répondre à cette question. Si je confirme, il poursuivra forcément en me disant que donc il me faut huit permis, si je nie alors que Jacques lui a dit que nous voyagions avec nos quatre enfants .... bon, allez je n'en suis pas très fière mais j'ai démenti. Quelque part c'est la vérité, je n'ai pas quatre enfants, moi. A partir de là, je ne pouvais plus faire marche arrière, monsieur le fonctionnaire a continué à me poser des questions auxquelles, je ne répondais que par oui ou non car depuis le début de cette scène irréaliste, j'ai feint de parler un anglais plus que basique. Heureusement pour moi, je n'ai pas eu à mentir, enfin si ce n'est le mensonge par omission ... Au final, cette conversation qui tournait en rond a fini par l'agacer, il a décroché son téléphone, lancé quelques mots qui ne sonnaient pas très élogieux, et raccroché.
Quelques instants plus tard, une jeune femme m'a apporté quatre formulaires, que j'ai conscieusement rempli, et elle m'a remis le fameux laisser-passer où figurent donc les quatre grandes Patates mais aucune petites. J'ai payé mon dû et je ne me suis pas faite prier pour sortir.
Une fois dehors, j'ai hélé un taxi et j'ai enfin pu souffler, sans pour autant en tirer aucune satisfaction.
En soi, le fait de payer un permis de circuler, nous ressortissants de l'Union Européenne où la liberté d'aller et venir  est une liberté fondamentale, l'un des pilliers de la liberté individuelle, nous semble déjà une érésie. Cependant, lorsque l'on visite un pays, on se plie aux lois et coutumes locales. Mais, lorsque ces lois varient d'un jour à l'autre, d'un fonctionnaire à un autre, et selon le sens de circulation ... on a moins de scrupule à, disons, jouer sur les mots ! Mais, comme le disait Marie-Pierre Casey "Je ferais pas ça tous les jours !" (NDR : slogan de la publicité "PLIZZ")

Nous avons opté pour une arrivée tardive à la gare des bus afin de ne pas risquer une inspection de la police avant notre départ. Bon, question arrivée à la dernière minute, c'est gagné, 8h55 pour un départ à 9 heures ! Le temps de plier la carriole, d'enfourner bagages dans le bus et enfants en soute ou inversement dans la panique ... et on saute tous dans le bus, enfants sur les genoux (le bus est complet) pour 9 heures d'une piste aussi chaotique qu'à l'aller, forcément, mais avec des paysages à couper le souffle dont on a, cette fois-ci, pu profiter : des montagnes au sommet enneigé, des dunes de sable à perte de vue, des chameaux sauvages.

 

 

La journée passe très rapidement, le nez collé à la vitre. Les enfants s'agrémentent de cet inconfort relatif, s'inventent une cabane entre nos jambes et la rangée de fauteuils devant nous, et font la sieste une bonne partie de l'après-midi.
Une sieste, allongés sur les genoux des parents, bercés par la conduite du chauffeur.

Depuis le début de la journée nous ne savions pas si nous arriverions à attraper une correspondance pour rejoindre la gare de Liuyuang à partir de laquelle nous pourrons atteindre Ürümqi. Un peu après 17 heures, notre bus s'arrête mais nous ne sommes pas encore arrivés à la gare des bus. Seulement, nous comprenons que si nous souhaitons rejoindre la ville de Liuyuang, c'est maintenant qu'il faut s'activer : branle-bas de combat, on rassemble les affaires à la hâte, on réveille les enfants qui dormaient encore. On récupère nos bagages en soute et on saute dans un minibus pour deux heures de route mais cette fois, à chacun son fauteuil, quel luxe ! Après quelques instants, nous vérifions que tous nos bagages sont bien là, mais ... le sac dénommé "la cantine" manque à l'appel ! A l'intérieur se trouvaient nos réserves de bouffe et les couverts, rien d'irremplaçable donc. Il s'y trouvaient également la trousse à pharmacie et le guide des premiers secours, ce qui est beaucoup plus embêtant ! Ouïe, on demande à notre chauffeur de faire demi-tour pour rattraper notre bus précédent, mais il nous indique que le bus est derrière nous et qu'il ne devrait pas tarder à passer et effectivement, notre bus arrive. Mais après une inspection poussée des soutes, le verdict est implacable : pas de "cantine" ici !  Et là, gros doute, mais au fait, quelqu'un l'avait chargée dans le bus ce matin ? Un rapide tour de table, et nous réalisons qu'aucun de nous ne se souvient avoir chargé ce sac. Adieu chaussette à café, casserole pour le thé, tupperware, et médicaments !
Arrivés à Liuyuang, pas de répit pour les Patates, on enchaîne ... sur le train de nuit ! Mais forcément en achetant nos billets une heure à l'avance, il ne faut pas espérer avoir des couchettes. Nous voyageons pour la première fois sur des places assises mais heureusement avec des banquettes et finalement assez peu de monde. Nous réussissons à coucher les enfants sur des petites banquettes de deux places et à nous allonger sur des banquettes trois places. Nous aurions pu passer une nuit correcte s'il n'avait pas fait un froid de canard dans notre wagon, où le thermomètre indiquait 12 °C et, pour dormir sans couverture, c'est un peu juste. Nous dormons avec polaire, doudoune, et même cagoule pour les Corses :

Les Steiner sont devenus de vrais Corses, même loin de la maison.

 

Sous la pile de vêtements de gauche, Cylia, sous celle de droite, Clément. Entre les deux, sous la table, près du radiateur, moi !

Au petit matin, nous arrivons à Ürümqi, capitale provinciale, où nous avons le même sentiment de transition que nous avions ressenti à l'aller avant la Mongolie. Ici, l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient se côtoient, se mélangent, tout comme les trois écritures (l'alphabet cyrillique, les caractères chinois et l'écriture arabe) qui se partagent les mêmes enseignes.

                                                    Sur le parking de la gare de bus.

Plus aucun doute n'est possible, l'Asie est belle et bien derrière nous et l'Europe nous tend les bras.

 

Caroline